mercredi 23 janvier 2008

Promenade hivernale


Un air d’hiver souffle sur la plaine. Les herbes, prisonnières du givre, ont arrêté leur folle danse. À chacun de mes pas, la terre pleure le printemps évanoui.

Touchés par son cri, mes yeux laissent échapper trois larmes. Brûlantes, elles creusent un sillon sur ma joue et disparaissent dans les entrelacs de la flore pétrifiée. Les tiges frémissent au contact de l’eau tiède et salée.

Un bruissement d’ailes vient soudain perturber ma promenade solitaire. Un oiseau noir fend le ciel de neige et se pose finalement sur un bras plus pâle que les nuages. Venue de nulle part, elle se tenait debout, devant moi.

Ses cheveux noirs effectuaient des circonvolutions aériennes et fragiles. Hypnotisé par l’obscur tournoiement, je contemplai la créature. Elle illuminait les ténèbres de sa peau diaphane. Au gré du vent, les mèches laissaient découvrir un visage improbable. Son front nacré surplombait un œil d’obsidienne et d’or. Sa bouche paraissait douce, mais le sourire était amer et glacé. Enroulés autour de son buste gracile, les morceaux d’une étoffe légère cachaient sans trop de pudeur sa chair exquise. De petites cicatrices roses inscrivaient sur son bras l’histoire d’une vie. À en croire la toile grossière qui couvrait ses jambes nues, son existence remontait à des temps immémoriaux.

Ne prêtant aucune attention à ma présence, la jeune femme plonge son regard ensorceleur dans celui du corbeau. Les deux iris se confondent et parlent un langage que seuls les cieux peuvent comprendre. La terre se met alors à trembler et le spectacle commence…

L’oiseau prend son envol et se met à vire voleter autour de l’enchanteresse. Cette ronde frénétique me fait peur, je me demande si je dois intervenir. Pourtant confiante, l’étrange demoiselle ferme les yeux, lève les bras et les pose exactement sur l’horizon. Le volatile se place dans son dos et je n’aperçois plus que le froissement de ses ailes. En caressant l’éther, les plumes aux reflets bleutés chantent une note grave et puissante. À chaque battement, la musique me paraît plus forte. Les bras de la jeune femme suivent la mesure, épousant parfaitement la gestuelle du corbeau. Sous mes yeux ébahis, l’empennage grandit : bientôt, les deux êtres ne font plus qu’un. L’opale se fait onyx. La peau fine et translucide s’épaissit ; un duvet sombre recouvre par endroits la chair noircie. Le cou s’allonge et la silhouette transperce les nuées, d’un mouvement viril.

Alors, mes jambes chancèlent et je tombe lourdement sur le sol. La tête chevaline surmontée de trois cornes se tourne vers moi : mes yeux stupides croisent son regard électrique. La bête déploie ses larges ailes, s’élance dans les airs et ne tarde pas à disparaître dans l’infinité grisâtre. J’ai peut-être rêvé.