dimanche 16 novembre 2008

Hoppi's world - Chapitre 2

2

Y

Je regardais le plafond grisâtre en plissant les paupières. Concentrée, je tentais de reconstituer mentalement le visage d’Y. J’avais toujours eu de la peine dans cet exercice, même après des heures d’observation. Pourtant, et je le pris comme un signe, je parvins à redessiner chacun de ses traits, aussi fins que précis. Je pensais à la bouche parfaite que j’avais embrassée quelques minutes auparavant, pour la dernière fois.
Lasse, encore étourdie par le vin, je rabattis la couette sur mes jambes. La tête tournée vers l’oreiller parfumé, je m’endormis.

Devant moi se trouvait un arbre immense. L’écorce brune prenait par endroits une coloration rouge sang. Le tronc épais se scindait en deux branches inégales. La plus fragile des deux, presque nue, avait renoncé à toucher le soleil. Pleine d’humilité, elle s’inclinait si bas qu’elle frôlait le sol. L’autre, pointant vers le ciel un doigt orgueilleux, exhibait fièrement ses mille et uns rameaux.
Je voulus m’approcher de l’arbre, irrésistiblement attirée par le principe de dualité qui l’animait. Mais lorsque je m’apprêtai à toucher le tronc, la masse brune disparut.
Je me trouvais maintenant sur un chemin de terre, au beau milieu d’un embranchement. Sur ma droite, un large sentier m’invitait à traverser une forêt de conifères. Les pins, encore humides, répandaient leur odeur suave et délicate.
Je ne savais pas où menait l’autre voie. Le terrain était rocailleux et pentu. Je fis un pas en avant : une silhouette masculine apparut. Après un temps, je reconnus Y. Je me décidai à le rejoindre. La route était escarpée et j’agrippai les talus pour faciliter ma descente. Au fur et à mesure que j’avançais, le visage de mon amant se précisait. Ses traits m’étaient familiers et pourtant je ne le reconnaissais plus. À chacun de mes pas, l’homme se métamorphosait : son regard pâlissait, ses cheveux blanchissaient, son sourire trahissait une gêne qui m’était désagréablement contagieuse. Je m’arrêtai un instant, je crus voir mon père. Ma gorge se serra, le sang me montait à la bouche, mon corps, lui, continuait maladroitement sa progression. À la fin du parcours, je me trouvai finalement face à un visage creusé par les ans. Sur sa peau parcheminée et sacrée, des rides sapientiales racontait son histoire. C’était mon grand-père.

Je sursautai et bondis hors de mon lit. Je descendis l’escalier et croisai ma mère dans la cuisine.
« Il est parti ? me demanda-t-elle.
- Oui, tu étais dans la salle de bains, il n’a pas voulu te déranger.
- Quand est-ce qu’il retrouve sa famille ?
- Dans une semaine, je crois. »
Je mentais, je savais parfaitement quand l’avion toucherait le sol français, à la minute près.
« Vous allez vous revoir ?
- Non, c’est terminé.
- Oui, enfin… »
Je comprenais parfaitement la réaction désabusée de ma mère. Elle entendait le même discours depuis bientôt deux ans et moi qui n’étais jamais sure de rien, j’avais bien du mal à la convaincre de ma bonne foi. Pourtant, cette fois, j’étais sincère.
Le silence régnait dans l’appartement : ma mère nettoyait consciencieusement la paillasse de la cuisine. Seuls les frottements de l’éponge contre l’émail et les gouttes qui s’échappaient du robinet brisaient notre mutisme. L’atmosphère pesante me poussa à attraper mon sac.
« J’vais faire un tour, lançai-je à ma mère sans même attendre sa réponse. »
L’air était frais pour la saison, mais le soleil radieux engageait les plus audacieux à dévoiler les chairs encore blanches. Saint-Gilles reprenait doucement son rythme estival. Les plaques d’immatriculation témoignaient de l’arrivée des touristes.
Pour traverser le pont de la Concorde, j’empruntais l’arrogante passerelle que cyclistes et piétons se partageaient courtoisement. La marée était haute et les bateaux tanguaient doucement au gré des ondes. Le rafiot tout écaillé du père Moreau était toujours à la même place – aussi loin que remontent mes souvenirs –, au deuxième ponton. La barque, plus ivre que son propriétaire qu’elle avait enterré depuis dix ans déjà, n’appartenait à personne, je crois. Elle était devenue un monument du port et lui donnait des airs de cimetière marin.
Depuis que je vivais à Paris, je prenais plaisir à me promener le long du Quai de la République, et à sentir les embruns dont j’exécrais, dans ma petite enfance, l’odeur iodée. J’arrivais finalement sur la corniche de la Grande Plage. Pas de doute, les étrangers étaient bien là : ça piaillait de tous côtés, c’était des Mum, i want an ice-cream par ci, Daddy buy me this kite, pleaaaaaase par là.
En regardant le sable, parsemé de parasols gueulards, j’eus l’impression d’une bouffonnerie, la plage avait revêtu sa tenue d’arlequin et me paraissait grotesque.
Je fermai les yeux pour surimposer à ce mauvais tableau l’image fort contrastée de la côte basque en hiver. Le gris, dans toute sa rigueur hiémale, parvint à étouffer la violence des couleurs de juillet. À nouveau, le visage d’Y réapparut : je sentis alors une larme rouler sur ma joue.

4 commentaires:

Niko a dit…

Troublant...

christine a dit…

j'adore!
vivement la suite!

A.L. a dit…

je suis contente que ça vous plaise :)
j'ai un peu de rab à publier mais après il va falloir que je me remette à écrire :D

christine a dit…

vite la suiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiite!!!!!!!!!!!!!!!!!