dimanche 23 novembre 2008

Hoppi's world - Chapitre 3 (deuxième partie)

***
Comme j’arrive en avance, j’en profite pour faire un tour dans la librairie de quartier, le Gibert Joseph, où j’avais coutume d’aller quelques années auparavant. L’escalator me monte au rayon « littérature ». Automate décérébrée, j’avance machinalement vers la section « Moyen Âge ». Mais les titres qui m’étaient alors si familiers me semblent à présent étrangers. Je décide donc de monter un étage plus haut, section « Histoire de l’art ». Quelle n’est pas ma surprise lorsque je parcours l’étalage central : Biologie cellulaire, Anatomie de la main, ou, plus poétique encore, Le Tube digestif… autant de livres de médecine qui ont remplacé les Matisse, Dali ou Füssli que je feuilletais frénétiquement.
On m’apprend que l’art se trouve désormais au sous-sol. Même loin de la pierre, je suis donc vouée à rejoindre le bas de l’échelle !
De courtes vibrations chatouillent ma main gauche et mon téléphone m’arrache à mon humble destinée. Cécile est arrivée.

À peine sortie du Gibert, je la vois qui trépigne d’impatience devant l’entrée de la pizzeria.
« J’ai essayé de t’appeler trois fois !
- Oui, navrée, ça ne captait pas là-haut. On y va ? Christophe nous rejoindra à l’intérieur. »

Après avoir embrassé Fernando qui nous accueille en fanfare, nous prenons place dans le fond du restaurant.

« Franchement, me lance Cécile, je trouvais tous ces préparatifs amusants au début ! Mais aujourd’hui, j’en ai ras-le-bol. Ma mère me presse de prendre une décision, mais ne s’investit même pas dans les essayages.
- Ah oui ! je vois pourquoi tu as besoin de moi…
- Si ça continue, j’annule tout !
- Oui, tu peux aussi…
- Audrey, merde à la fin, tu es ma meilleure amie, tu es censée me soutenir. Je vis des moments de doute très difficiles, et toi, tu t’en fous comme de l’an quarante.
- Mais non… Tiens ! Regarde : Christophe. »

Une fois de plus, le grand garçon brun arrive à point nommé. Son sourire imbécile confirme qu’il nous a repérées derrière la devanture. D’un coup de tête rapide, je lui fais signe de presser le pas et de me sauver de la furieuse mariée.
Alors que notre ami s’approche de la table, Cécile, ses grands yeux verts plongés dans la rotondité de l’assiette, paraît perdue dans ses pensées.
« Salut, les mecs ! s’exclame Christophe.
- Oh l’ami, dis-moi, tu ne voudrais pas nous accompagner cet après-midi à la boutique des meringuées ? »

Mais la future épouse n’apprécie pas du tout mon trait d’humour : elle bondit de sa chaise et court aux toilettes. L’air désapprobateur de mon compagnon de pitreries, ordinairement si fidèle, me pousse à rejoindre l’érynie pour attendre mon jugement. Je descends donc l’escalier rouge non sans quelque appréhension et, m’enfonçant peu à peu dans les ténèbres, je finis par m’arrêter devant Cécile, qui sèche ses larmes.
« Tu ne crois vraiment pas au mariage, n’est-ce pas ?
- Ne t’occupe donc pas de mes croyances et fais ce qui est bien pour toi. D’ac ?
- O.K. »
Honteuse d’avoir fait pleurer mon amie, je me décide à la cajoler un peu. Dans le creux de mes bras, je sens le petit corps rempli de sanglots qui tressaute par saccades. De faibles gémissements s’en échappent : les cris infinitésimaux se perdent dans l’obscurité de la pièce. Dans l’étreinte, je sens mon propre corps se contorsionner. Les plaintes de Cécile, plus appropriées dans la chambre qu’aux commodités, déclenchent malgré moi un fou rire incontrôlable.
« Mais tu te fous de moi ? me dit Cécile en s’écartant.
- Je … je… je suis navrée, mais tes pleurs me font rire ! »
Blanc.

Cécile plonge ses yeux glacés d’effroi dans les miens, j’éclate alors de rire. Et nos crises d’angoisse de cette fin de matinée se muent en larmes de joie. Et c’était si bon ! Je tire alors un peu de papier toilettes pour arranger le visage de ma tendre pleureuse et nous regagnons le monde des bons vivants. À table !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Oh sympa! C'est bizarre pour moi quand on imagine "Audrey" et "Christophe" dans l'histoire lol, surtout que ton narrateur est très subjectif, mais c'est vraiment intéressant à lire si on fait fi de ça! Et dis donc, y'en a des références littéraires ;) !

Oh, merci pour mon blog! Excellent le "truc" pour voir la derniere MAJ!

Anonyme a dit…

(si JE fais fi de ça, nuance ^_^)

A.L. a dit…

comme je l'ai dit à un ami hier, si les noms sont parfois éloquents, il ne s'agit pas d'une autobiographie. Et c'est d'ailleurs en jouant avec tout cela que l'on comprend le caractère toujours factice de l'autobiographie (ben oui il y a toujours de la fiction dans l'écriture) à moins de vouloir se rapprocher au max de la réalité (le principe même du " reportage"). Mais ça n'est pas mon but ici.

christine a dit…

même si ce n'est pas une autobio exacte je trouve ton ton très juste et c'est très amusant!
Chapeau!